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“Les débuts du studio Ghibli”

Ce texte est une traduction [1] du discours prononcé par Toshio Suzuki[2] pendant le programme spécial pour le studio Ghibli au Festival international du film d'Annecy au printemps 1995, festival de beaucoup plus grande envergure que celui de Corbeil-Essonnes.

Mesdames, messieurs,

Je me demande si vous le savez mais les Japonais sont timides. Ainsi, quand il leur faut se présenter ou expliquer ce qu'ils ont effectué, les Japonais considèrent cela comme étant plutôt difficile. J'appartiens évidemment à ce type de personne. Comme je ne parle pas couramment anglais, mon manuscrit en japonais a été traduit en anglais pour cette communication et je suis très heureux d'avoir l'occasion de vous parler des dix ans du Studio Ghibli. Je suis Toshio Suzuki, un producteur du Studio, et un ami proche de Miyazaki et de Takahata depuis plus de dix sept ans.

Nausicaa de la vallée du vent a été un grand succès aussi bien en terme de performance au box office qu'en terme de concrétisation d'un travail de grande qualité. Ce succès a provoqué la création du Studio Ghibli en 1985, par la Tokuma Shoten (Tokuma Shoten Publishing Co., Ltd), la maison d'édition qui a produit Nausicaa. La même année, le studio a produit un grand film appelé Laputa, le château du ciel. Depuis lors, le studio s'est spécialisé dans la production de longs métrages d'animation sous la direction d'Hayao Miyazaki et d'Isao Takahata. Pour ceux qui l'ignorent, le mot Ghibli signifie Vent chaud soufflant sur le désert du Sahara, terme qui a été utilisé par les pilotes italiens pendant la seconde guerre mondiale pour parler de leurs avions de reconnaissance. Miyazaki, un fana des avions, le savait et a chosit ce terme pour le nom du Studio. "Faisons souffler un vent sensationnel sur le monde de l'animation japonaise!" a été, je m'en souviens, l'intention cachée derrière ce nom de Ghibli.

Je crois que l'existence de ce studio est unique non seulement dans le monde de l'industrie japonaise de l'animation mais aussi dans le monde entier, comme le Studio ne produit en principe que des films (ou longs métrages) d'animation basés sur des oeuvres originales. Comme la production de longs métrages comporte un trop grand risque parce qu'il n'y a aucune garantie de succès au box office, la majorité des studios d'animation travaille habituellement surtout sur des dessins animés télévisés. C'est aussi vrai pour le Japon et beaucoup de studios d'animation se concentrent sur des dessins animés pour la télévision, en produisant seulement de temps en temps des longs métrages, dont la plupart sont juste des versions longues de séries télévisées populaires. Soit dit en passant, plus de quarante nouvelles séries télévisées d'animation sont produites chaque semaine au Japon [3].

Bien entendu, Ghibli ne tournait pas à ses débuts de la même manière qu'il fonctionne aujourd'hui. Permettez moi de rappeler l'histoire de Ghibli en incluant les étapes qui ont permis son départ.

Il y a plus de trente ans que se sont rencontrés Takahata et Miyazaki, maintenant les deux membres essentiels du studio. La Toei-Doga, la maison de production dont ils faisaient partie tous les deux à cette époque, produisait seulement des films d'animation. Bien qu'ils aient participé à la production de longs métrages au début, ils ont été pris par les usages du moment et ils n'ont pas eu de choix, si ce n'est de faire de l'animation pour la télévision. Une de ces séries télévisées a été Heidi , diffusée en 1974, animée par Miyzaki et dirigée par Takahata, et qui a été un travail remarqué dans le monde des animations télévisées. Beaucoup parmi vous l'avez vue, parce qu'elle a été diffusée en Europe et elle est bien connue ici aussi.

Cependant, en créant une telle série, ils ont progressivement réalisé qu'il était impossible de concrétiser ce qu'ils désiraient vraiment faire, au travers d'un media, la télévision, où le budget était maigre et où le temps manquait. Ce qu'ils cherchaient à obtenir était une animation qui soit réaliste et de grande qualité, qui sonde la profondeur de la pensée humaine et qui illustre les joies et les tritesses de la vie, telles qu'elles sont vraiment. Cela a été la motivation qui a conduit à la création du studio après la sortie de Nausicaa de la vallée du vent. L'idée était de consacrer toute l'énergie dans chaque partie du travail, avec des délais et un budget suffisant, sans aucun compromis sur la qualité ou le contenu. Chaque film a été dirigé par Miyazaki et Takahata, les directeurs prenant les commandes, leurs décisions étant prioritaires. vous pouvez dire que les dix années du Studio Ghibli, c'est l'histoire du maintien de cette situation - avoir un succès commercial et diriger efficacement le studio -, le tout avec le soutien du travail appuyé du personnel et la créativité éclatante des deux directeurs.

Pour être honnête, aucun d'entre nous ne pensait que le Studio Ghibli viverait si longtemps. "Faites un film. Si cela marche, faites en un autre. Si cela plante, c'est fini." C'est ainsi que nous avons d'abord débuté. Pour minimiser le risque, aucun employé n'a été engagé à plein temps. Environ soixante dix personnes étaient employés temporairement pour produire un film et une fois que le film était fini, l'équipe était dissoute. Le lieu de travail était simplement un étage loué dans un bâtiment à Kichijoji[4] dans la banlieue de Tokyo. Toute cette politique a été implémentée par Takahata. Il était celui qui avait produit Nausicaa de la vallée du vent et ses capacités de gestion ont grandement contribué aux débuts du nouveau studio. Laputa, le château du ciel, qui a suivi, a aussi été produit par lui et dirigé par Miyazaki. Nausicaa réalisé en 1984 a totalisé neuf cent quinze mille entrées au cinéma et Laputa réalisé en 1986 en a fait sept cent soixante quinze mille. Les deux films ont reçu un bon accueil. Je crois que beaucoup d'entre vous ont vu ces films. Permettez moi de saisir cette occasion pour vous en remercier encore une fois.

Les deux films suivants que le Studio Ghibli a produits ont été Mon voisin Totoro et Le tombeau des Lucioles. Les directeurs ont été Miyazaki pour Totoro et Takahata pour Le tombeau. La réalisation en même temps de ces deux oeuvres par deux des plus talentueux directeurs a été une sorte de show, qui aurait pu être le premier et le dernier du genre. Le processus de fabrication de ces films a été un véritable chaos. Le studio était en train de faire deux longs films à la fois et la qualité d'aucun d'entre eux n'a été sacrifiée. Cela paraissait presque impossible mais c'était une occasion à ne pas laisser passer. Nous savions que si nous n'allions pas de l'avant à ce moment, nous n'aurions jamais trouvé la possibilité de les faire tous les deux. En ayant pris cette décision, nous avons avancé avec ce qui a semblé un projet complètement fou. Produire de bons films est ce qui compte avant tout pour le studio. La gestion et l'agrandissement de la société vient en deuxième. C'est probablement ce qui distingue le Studio Ghibli des autres studios et, sans cette politique, la production de ces deux films n'aurait pas pu être rendue possible.

En parlant de l'histoire de Ghibli, une personne que nous ne pouvons pas oublier de mentionner est Yasuyoshi Tokuma, le président de Ghibli. Il est aussi le président de la Tokuma Shoten Publishing Company et, en dehors de son activité principale d'édition, il est également largement impliqué dans le développement d'autres affaires. Il est aussi le propriétaire du studio Daiei film, célèbre pour les films dirigé par Kenji Mizoguchi.

Tokuma passe rarement au studio. La raison est qu'il nous laisse fondamentalement seuls et nous laisse prendre les décisions. Mais quand une periode de besoin survient, il vient toujours en première ligne. C'est lui qui a pris la décision d'adapter la bande dessinée de Miyazaki, Nausicaa en long métrage et c'est lui qui a fondé le Studio Ghibli. Cela n'a pas été facile de réaliser Totoro et Le tombeau parce que les deux films semblaient assez ternes comparés aux deux films précédents. Tokuma en personne, est allé chez les distributeurs, en faisant campagne pour les deux films et a réussi à conclure un arrangement avec les distributeurs, pour rendre possible la fabrication des deux films. S'il avait manqué un seul de ses efforts, le Studio Ghibli n'existerait pas à présent.

Les performances au box-office de Totoro et du Tombeau n'ont pas été aussi bonnes que prévues. à cause du retard pris dans la réalisation des films, ils ne sont pas sortis en été, la saison où énormément de Japonais se rendent au cinéma. Néanmoins, ils ont eu de très bonnes critiques provenant de divers horizons, pour la superbe qualité du travail. Cette année-là, Totoro a gagné la plupart des récompenses cinématographiques au Japon, dont la meilleure photographie. Le tombeau a été beaucoup primé comme une véritable oeuvre littéraire. Avec ces deux films, le Studio Ghibli est devenu largement connu dans l'industrie du film au Japon.

Totoro nous a apporté un bénéfice inattendu : C'est la grande effervescence des peluches Totoro. Je dis inattendu parce que les peluches sont sorties près de deux ans après la réalisation du film et elles n'ont pas été créées pour accentuer une performance au box office. Ce qui est vraiment arrivé, c'est qu'un professionnel du jouet a ardemment pressenti que Totoro était un personnage qui méritait d'être fait en peluche et il a âprement demandé son autorisation à Ghibli.

Finalement, grâce à la vente des produits dérivés Totoro, il est alors devenu possible pour Ghibli de combler sans arrêt tout déficit dans le coût de production. Totoro a même été adopté comme logo de la société. Un plan est en route à Ghibli pour former un département pour la promotion des produits dérivés. Inutile de préciser qu'il n'y a aucun changement dans notre politique, que la production de films vient en premier et que l'interêt porté au merchandising suit seulement comme une conséquence. Nous n'avons jamais pris de décision ou changé une partie de film selon le critère du merchandising et nous ne le ferons jamais.

Si vous le voulez bien, revenons sur l'histoire. Le premier film qui a fait un bon score au box-office a été Kiki's Delivery Service dirigé par Miyazaki et sorti en 1989. Approximativement, deux millions six cent quarante mille personnes sont allés le voir au cinéma et le film est arrivé premier des films japonais au box office cette année-là. Le long métrage a dépassé tous les films précédents réalisés par Ghibli, aussi bien en revenu qu'en place au box office. Derrière tout ce succès, il y a eu cependant une inquiétude : Que faire avec la société Ghibli et comment la faire tourner. En particulier, pour les conditions d'embauche et de recrutement et pour le développement des effectifs.

Dans l'industrie japonaise du film d'animation, il est habituel de vous payez au nombre de pièces dessinées ou peintes. C'est ainsi que Ghibli payait son personnel. Avec pour conséquence que les collaborateurs qui travaillaient sur Kiki ont été sous payés en recevant un salaire moitié moindre du salaire moyen au Japon. Miyazaki a fait deux suggestions :
- Introduire des conditions d'engagement à temps complet et un système de salaire, de façon à doubler le salaire du personnel.
- Recruter le personnel sur une base de salaire normale et promouvoir la formation.

Malgré l'amélioration des conditions chez Ghibli, les conditions dans le milieu de l'industrie de l'animation au Japon déperissaient. Pour faire un long métrage de qualité dans un tel environnement, Miyazaki a jugé qu'il était important de tenir un quartier général, d'établir une solide organisation, de matérialiser les conditions d'emploi à temps complet et d'implémenter un système de formation et de développement pour le personnel. C'était un changement clair dans la politique de gestion et pour ainsi dire, le commencement de la seconde phase du Studio Ghibli. Ici aussi, il y a eu un soutien de la part de notre président Tokuma.

Permettez moi de parler un peu de ma personne. C'est à cette époque que j'ai rejoint Ghibli. Jusqu'alors, je travaillais comme rédacteur en chef dans un magazine sur l'animation, Animage[5], publié par la Tokuma Publishing Company. J'ai travaillé chez Animage depuis la première parution en 1978, et quand Tokuma a débuté la production de Nausicaa en 1983, j'ai aussi été impliqué dans Ghibli. En japonais, c'est ce que nous appelerions "avoir une seule chaussure pour deux jambes", c'est-à-dire avoir deux emplois à la fois. Lorsque la nouvelle politique de gestion a été introduite chez Ghibli, ma vie a également changé. Aussi bien Ghibli que moi, sommes parvenus à un point de non retour.

Après Kiki's Delivery Service, Ghibli a commencé la production d'Omohide Poroporo, dirigé par Miyazaki[6]. Et tandis que le travail se poursuivait, en novembre 1990, les modalités d'engagement à temps complet se sont concrétisées, un programme de formation à l'animation a été introduit et un recrutement régulier annuel a été implémenté.

Le film Omohide Poroporo, sorti en 1991, est devenu un autre succès au box office, malgré les soucis avec le personnel et comme Kiki, il est aussi devenu le numéro un pour l'année. Mais ce qu'il nous a plu le plus a été d'atteindre deux buts majeurs proposés par Miyazaki : Doubler les salaires et recruter selon des bases salariales normales. Cependant, en parvenant à ces deux objectifs, un problème a surgi : Une augmentation massive du coût de production. C'est une chose que nous avions anticipé. Nous étions au courant que quatre vingts pour cent du coût de production dans l'animation provient du coût de la main d'oeuvre et que si le salaire doublait, il en serait de même du coût de production.

Par conséquence, la nouvelle politique pour Ghibli dans sa deuxième phase, nous a amené à regarder de plus près le nouvel effort en publicité et par ce moyen, la progression des revenus au box office. Si l'augmentation massive du coût de production était inévitable, alors le seul choix possible était d'émettre consciencieusement un plan et de manière réfléchie, afin d'améliorer les performances au box-office. Ce n'est pas que nous y avons sans cesse pensé mais avec Omohide, nous avons commencé à travailler sérieusement sur la promotion publicitaire.

C'est environ à ce moment là que Toru Hara, alors membre éminent de Ghibli, a décrit Ghibli comme ayant les trois H, trois H voulant dire High Cost (Coût élevé), High Risk (Risque élevé) et High Return (Retour élevé). Pour produire un travail à un sommet de qualité, cela demande un coût élevé et bien qu'il puisse y avoir un risque élevé ou une crainte entre temps, les bénéfices ou le retour d'investissement sont importants. Je pense que c'est ce qu'il voulait dire. Quatre années se sont écoulées et cela reste encore vrai aujourd'hui. Mais même s'il y a eu des bénéfices élevés, rien ne nous reste entre les mains parce que l'intégralité passe dans la production suivante.

Employer du personnel à temps complet signifiait payer un salaire mensuel. Ce que Ghibli a fait, est de créer une situation où une production serait toujours en cours. Destiné désormais à produire en continu, Ghibli a commencé Porco Rosso avant même d'avoir fini Omohide Poroporo. Cette situation de recouvrement était le première dont Ghibli a eu l'expérience. Omohide Poroporo a demandé le plus de ressource vers la fin, avant son achèvement. Alors que la contribution de tous était requise, comment pouvions nous amener le personnel à travailler sur un nouveau film? Il n'y avait certainement pas de surplus de main d'oeuvre. Le résultat a été que Miyazaki a du travailler seul sur Porco Rosso au départ. Bien entendu, Miyazaki n'était pas heureux. "Comment? Vous voulez dire que je dois à la fois produire, diriger et assister personnellement?", il s'en est plaint mais il n'y avait pas le choix et nous lui avons dit de le faire.

Que ce soit pour soulager le stress ou pas, auquel il était soumis, Miyazaki ragaillardi, est arrivé avec une proposition : "Construisons un nouveau studio!" C'était la méthode Miyazaki : Devant un problème, essayer de trouver une brèche pour soulever un problème bien plus grand! Mais les raisons qu'il a données ont été convaincantes. Si nous essayons d'obtenir les meilleurs personnes, un bureau loué n'est pas assez impressionnant. Sans espace, les gens ne peuvent pas se réunir, et sans un bon espace, les gens ne peuvent pas développer. L'endroit que Ghibli utilisait était déjà plein - environs quatre vingt dix personnes travaillaient dans un espace de trois cents mètres carrés. Mais Ghibli n'avait pas l'argent nécessaire à la construction d'un nouveau studio.

Hara était un homme de sens commun, il était opposé à cette idée. Quand j'ai appris l'idée, ridicule, de construire un nouveau studio, je l'ai pris de façon plutôt optimiste : Donnons y une chance. Tokuma, le président, était totalement pour et m'a même envoyé un mot d'encouragement, en disant "Suzuki, il y a plein d'argent à la banque. Il y a des fois où un homme doit pouvoir supporter de lourdes charges sur son dos." Je me souviens de l'étrange émotion qui m'assaillit alors, en réalisant cette manière de voir la vie. Hara a quitté le studio en disant qu'il ne pouvait suivre plus longtemps.

Le Miyazaki de cette année a été un vrai génie qui a présenté ses talents de diverses façons. Tandis qu'il faisait Porco Rosso, il a dessiné lui-même le plan du nouveau studio, a tenu des réunions avec les constructeurs pour le garder le plus proche possible de sa représentation, ramassant, vérifiant, choisissant les matériaux et prenant la décision finale. Une année plus tard, le film Porco Rosso et le nouveau studio ont été achevés presqu'en même temps. Immédiatement après la sortie de Porco, Ghibli a déménagé dans son nouveau studio dans la ville de Koganei[7] dans la banlieue de Tokyo.

Juste pour vous situez, le site du nouveau studio où nous sommes maintenant, est d'environs mille cent mètres carrés et la superficie au sol occupée est à peu près la même. Le bâtiment a un rez de chaussée et trois étages au dessus. Le troisième étage est occupé par le département artistique, le second étage par le département de dessin et de production, le premier étage par le département d'esquisse et de peinture et le rez de chaussée par le département photographique. Au premier étage, il y a un espace appelé le bar qui est utilisé comme un espace de communication pour tout le personnel. L'endroit, cependant, est rarement utilisé comme un bar, peut être plusieurs fois par an pour des pots et la plupart du temps comme une salle de conférence et comme cafétaria. La partie la plus originale du bâtiment se trouve dans la salle de repos. Chez Ghibli, la pièce de repos des dames est deux fois plus grande que celle des hommes, même si le nombre d'hommes et de femmes est a peu près le même. Les commodités sont aussi meilleures chez les dames. Peut être que cela est juste une manière pour notre architecte Miyazaki de montrer son soutien pour le féminisme. Les autres caractéristiques du studio sont qu'il a beaucoup de verdures et que le parking a été intentionnellement fait plus petit.

Revenons là où nous en étions. En été 1992, le film Porco Rosso est sorti et est devenu le numéro un au box office de l'année, surpassant toutes les autres sorties de cette année-là, même Hook de Spielberg et La Belle et la Bête de Disney.

En 1993, Ghibli a acquis deux caméras larges informatisées; un département photographique a été formé à cette époque, ce qui était quelque chose que nous attendions et que nous avions planifié depuis longtemps. Avec l'ajout de ce nouveau département, Ghibli a grandi dans un studio qui a tous les départements de l'animation, artistique, de croquis, de peinture, toutes les manières pour photographier. C'est une direction complètement opposée à l'évolution de l'industrie japonaise de l'animation, qui prône une séparation très nette des départements. La raison pour laquelle Ghibli a pris cette direction était la certitude que travailler ensemble sous le même toit avec un objectif commun était important pour l'accomplissement d'un travail de grande qualité.

En 1993, Ghibli a produit sa première animation pour la télévision, Umi Ga Kikoeru. Le directeur était Tomomitsu Mochizuki[8], âgé alors de trente quatre ans. C'est la première fois qu'une personne autre que Miyazaki ou Takahata a dirigé un film. Le personnel à la production était jeune, la plupart ayant entre vingt et trente ans. Leur devise a été de produire "vite, peu cher et de qualité."

Ce téléfilm de soixante dix minutes a reçu des résultats satifaisants mais il a dépassé le plan en terme de budget et de temps. La télévision est le domaine de développement pour Ghibli.

Le film de 1994 dirigé par Takahata, Pompoko est aussi devenu le film numéro un de l'année. Dans ce long métrage, la plupart de l'animation a été faite par le jeune personnel, auquel beaucoup d'efforts ont été consentis, qui a été employé après Omohide et qui a literalement grandi au sein de Ghibli. Dans Pompoko, Ghibli a utilisé les images de synthèse ou CG (Computer Graphics) pour la première fois. Il y a eu seulement trois plans avec des CG mais il en a été utilisés plus que nous en jugions nécessaire.

Le Studio Ghibli a maintenant un effectif de quatre vingt dix neuf personnes : Quarante six à l'animation, huit pour les croquis et peintures, douze à l'artistique, quatre à la photographie, douze à la production et direction, cinq pour la publication et le marketing, et douze pour la gestion. Comme vous pouvez voir à travers ces chiffres, la plupart de nos effectifs travaille dans l'animation. La moyenne d'âge est de vingt neuf ans. Comme je l'ai souvent mentionné, le coût de production chez Ghibli est élevé par rapport aux autres studios. Mais comme vous pouvez le constater d'après notre organisation, la majorité des sommes va dans les films. C'est ce qui rend Ghibli unique. Nous sommes capable de le faire parce que, comparé aux autres sociétés, nous dépensons beaucoup moins dans les départements de fonctionnement.

La philosophie de Miyazaki est que les Japonais devraient créer personnellement ce qu'ils veulent montrer à leurs enfants. J'ajouterai qu'en pousuivant cette philosophie, le studio n'a jamais eu recours à des studios à l'étranger.

Parlons à présent des activités de Ghibli à l'étranger. Jusqu'à maintenant, les sorties étrangères des oeuvres Ghibli étaient surtout limitées à l'Asie, notamment Hong Kong et Taiwan. Cela a commencé a changer il y a environs deux ans. La première fois a été la sortie de Mon voisin Totoro aux Etats Unis. Juste après, la Twentith Century Fox l'a distribué en vidéos dont les ventes ont été de cinq cent soixante mille unités. C'est phénoménal pour un film japonais d'être parvenu aussi loin dans l'industrie du film américain. De plus, Pompoko a été choisi pour représenterle Japon aux Academy Awards pour la nomination du meilleur film étranger.

Comme beaucoup d'entre vous peuvent déjà le savoir, en France aussi, le film Porco Rosso a fait une apparition dans plus de soixante salles. La voix de Porco Rosso, le personnage principal, a été faite par le célèbre acteur Jean Reno[9]. En pratique, il nous est apparu recemment que notre directeur Miyzaki est un grand fan de Jean et qu'il aime beaucoup le personnage d'Enzo que Reno joue dans le film Le Grand Bleu. Inutile de dire que Miyzaki a été très content de cette distribution des rôles. C'est notre souhait de pouvoir apporter plus de Ghibli en Europe et en Amérique du Nord dans le futur. Aussi longtemps que la proposition que nous recevons est constructive et rationnelle, nous sommes heureux d'accepter. En tant que créateurs d'animations, cela nous enchante beaucoup de pouvoir avoir une grande audience et de pouvoir rendre notre public heureux, sans distinction de race ou de nationalité. Mais pour avoir une restitution correcte de notre travail dans les pays étrangers, il y a de nombreux obstacles que nous devons franchir. Beaucoup de propositions que nous recevons sont juste des propositions de diffusion en vidéo ou à la télévision. Notre priorité demeure que nos films ont été faits pour être regardés au cinéma.

Bien entendu, nous ne permettons aucune altération dans l'oeuvre que nous produisons. C'est par conséquent un peu malheureux que nous n'ayons pas eu assez de sagesse ni d'expérience lorsque nous avons fait Nausicaa de la vallée du vent parce que, sans que nous le sachions, le film a été publié en une version courte et sorti aux Etats Unis et dans d'autres pays sous le titre Warriors of the Wind[10]. Si l'un d'entre vous a vu cette version, nous aimerions vous demander de l'effacer de votre esprit.

Un point que j'aimerai mentionner est que Ghibli n'a jamais produit et ne produira jamais un film avec une stratégie de marketing international, avec l'idée que nous pourrions dominer le marché mondial. Ghibli continuera son style de création destinée essentiellement à une audience japonaise. Et si la situation nous le permet, nous nous interesserons au reste du monde.

Dans Mimi ô Sumaseba, sorti en été 1995, Ghibli a essayé une nouvelle composition des effectifs : Miyazaki était responsable de la production et du scénario; et Kondo, qui a été le directeur d'animation du Tombeau, Kiki et d'Omohide Poroporo, a été mis au défi d'être le directeur de ce film. En supplément, nous avons procédé à des expériences en implémentant les dernières technologies numériques dans divers départements. Après l'achèvement de Mimi ô Sumaseba, Ghibli a débuté la production de son onzième film, en 1995 Mononoke Hime pour le sortir en 1997. Ce film, sous la direction de Miyazaki sera le nouveau défi dans lequel une grande contribution de moyens informatiques sera mise en oeuvre. Pour ce nouveau défi, un groupe spécialisé dans les CG a été mis sur pied et le tout dernier système requis pour un système CG a été implémenté. En même temps, nous avons invité un spécialiste de CG du Nippon Television Network, qui a déjà travaillé avec nous dans Pompoko, à venir nous rejoindre dans l'équipe de production. L'argent que nous avons investi dans ces sytèmes montent à cent millions de yens uniquement pour cette année. La technologie numérique qui a montré de bons résultats dans Mimi ô Sumaseba sera utilisé massivement dans ce film. La technologie informatique donnera beaucoup plus de profondeur aux images d'animation que les films simples en deux dimensions.

En avril 1995, Ghibli a débuté une "école de l'animation de Koganei Est" avec la volonté d'extraire et de former de nouveaux directeurs pour suivre Kondo. Le maître d'école est Takahata.

Il n'y a aucune garantie que le Studio Ghibli continuera à faire aussi bien qu'il l'a fait jusqu'à aujourd'hui. Il ne nous a jamais échappé que chaque film nous vient comme un nouveau défi. Continuer à innover sur le plan de la qualité du travail, des technologies et du développement du personnel est le premier et le plus important facteur pour la conservation de l'essence de vie du Studio Ghibli.

Ceci conclut mon récit sur Ghibli. Si vous avez des questions, je serai ravi de vous répondre. Veuillez me pardonner cependant pour mes réponses qui seront en japonais.

M. T. Suzuki.

Notes du traducteur

  1. Le discours original est en anglais et était publiée sur http://rd-gk.ntv.co.jp/GHIBLI/home/history/index_e.html.
    La traduction a été effectuée par Pazu d'Animint. Toute correction est la bienvenue.
  2. M. Suzuki est directeur du Studio Ghibli. Il se présente d'ailleurs dans ce discours.
  3. Ce nombre parait bien exagéré. Il faut sans doute comprendre qu'il est question de quarante dessins animés destinés à la télévision, c'est-à-dire des épisodes et non pas des nouvelles séries.
  4. Vous remarquerez que la gare de Kichijoji est admirablement bien reconstituée dans Umi Ga Kikoeru. Koganei, l'actuelle ville où se situe maintenant le studio Ghibli est juste à côté.
  5. Il n'est donc pas étonnant que ce magazine mensuel regorge d'images, d'informations et d'interviews sur Ghibli à chaque fois qu'un film sort.
  6. Erreur ou ambiguïté? Toujours est-il qu' Omohide Poroporo a été réalisé par Takahata, Miyazaki se cantonnant à un rôle de producteur exécutif.
  7. Dans la série "Le monde est petit", le fief de la Tatsunoko est alors à Kokubunji, ville limitrophe de Koganei.
  8. Mochizuki n'est pas du tout issu du personnel de Ghibli et a fait ses preuves en dirigeant les films de Kimagure Orange Road et de Maison Ikkoku.
  9. Jean Reno a reconnu avoir été surpris lorsqu'on lui a proposé de doubler un cochon mais il a trouvé sympathique de travailler sur le film d'un "grand réalisateur qui n'a pas cédé aux sirènes d'Hollywood", ce qui est moins vrai maintenant avec l'alliance Tokuma Disney. De toute façon, Jean Reno a cédé avant Ghibli donc ce n'est pas grave ^-^.
  10. Diffusée en France sous le nom de Princesse des Etoiles, cette version nous prive au total d'une demi-heure de film par rapport à l'original. Le charcutage est de rigueur : Il manque les scènes les plus belles et les plus intéressantes, et certaines parties deviennent incohèrentes.

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